LGBTphobies, de quoi parle-t-on ?
Le terme LGBTphobie est un néologisme construit à partir de l’acronyme LGBT, désignant les populations lesbiennes, gays, bisexuelles, et trans – incluant aussi les populations intersexe, queer… -, et du mot phobie, issu du grec phobos (crainte). On regroupe sous cette terminologie l’ensemble des manifestations de rejet ou de haine vis-à-vis des personnes non hétérosexuelles et/ou non cisgenres binaires (une personne cisgenre binaire étant une personne avec une identité homme ou femme correspondant à leur sexe biologique).
Ces discriminations peuvent prendre multiples formes : agressions physiques, insultes, non-reconnaissance des droits (ex : loi), refus de service, etc. Elles sont exercées dans tous les domaines de la vie : famille, milieu scolaire, travail, administration…
Il n’existe pas ou très peu de statistiques par rapport aux discriminations subies par les populations LGBT. L’association SOS Homophobie (1;4) tient une ligne d’écoute afin de pouvoir venir en aide aux personnes LGBT souffrant de discriminations. Elle publie chaque année au mois de mai son rapport annuel recensant les signalements qu’ils ont reçu, permettant de noter une augmentation de 15% des cas rapportés (1634 cas en 2018 vs 1505 cas en 2017). La hausse générale du nombre de témoignagnes (1905) s’accompagne en 2018, d’une augmentation de 66% (231 vs 139) du nombre d’agressions physiques LGBTphobes signalées à SOS homophobie par rapport à 2017. Lors du dernier trimestre de 2018, c’est ainsi 1 agression physique par jour qui était signalée à SOS Homophobie. Il est évident que ce recueil est loin d’être exhaustif, car certaines voix ne se font pas entendre, par peur ou méconnaissance de cette association, et certaines discriminations ne sont pas toujours perçues comme telles (notamment dans le cas d’actes transphobes).
Des discriminations au quotidien
Le contexte des LGBTphobies est divers, et touche toutes les sphères de la vie : Internet (23%), lieux publics (13%), travail (11%), famille (10%), voisinage (9%), commerces (6%), milieu scolaire (5%)…
Concernant le type de manifestation de cette LGBTphobie, on retrouve dans les témoignages : 62% de rejet, 51% d’insultes, 38% de discrimination, 20% de harcèlement, 17% de diffamation, 17% de menaces, 13% d’agressions physiques, 8% d’outing, 6% de dégradations, 2% d’agressions sexuelles et 2% de licenciement (et plusieurs types peuvent se combiner lors de la même agression).
Les chiffres sont variables selon l’orientation sexuelle ou de genre : ainsi les personnes bies et trans sont les plus touchées par le rejet (respectivement 92% et 85%).
Les lieux publics
Les remarques désagréables ou insultes visent souvent directement ces personnes ou leur manière de se comporter, mais cela peut être indirecte via la LGBTphobie du quotidien et les blagues ou expressions homophobes ou transphobes utilisées de manière anodine. Le manque de considération des témoins éventuels rend plus importante l’humiliation ressentie, et le caractère répété de ces violences entraîne parfois des changements d’habitude : ainsi les deux tiers des LGBT ont déjà évité de tenir la main (62%) ou d’embrasser (63%) un partenaire de même sexe, un nombre croissant de LGBT adaptent leurs déplacements dans l’espace public en évitant par exemple de se rendre dans certaines zones/rues (37%, +3 points en un an) voire même changer de ville (12%). Dans la majorité des cas, l’agresseur est un homme (78%), de moins de 30 ans (75%), qui agit en groupe (61%).
Bien que considéré comme facteur aggravant d’une agression, le caractère homophobe d’un acte n’est pas toujours reconnu par les services de police et la justice, laissant à la personne agressée un sentiment d’injustice. De plus, le dépôt de plainte est souvent compliqué car les commissariats ne sont pas exemplaires vis-à-vis des LGBTphobies, d’où un nombre très limité de violences punies. Seulement 27% des victimes d’agressions physiques signalent les faits aux forces de l’ordre.
Au sein de la famille et l’entourage proche
Les témoignages reçus (1;4) concernant les discriminations en milieu familial sont effarants, de nombreuses personnes sont rejetées, violentées physiquement, ou subissent une homophobie latente ne leur permettant pas de se révéler. 48% des appelants ont moins de 25 ans, 36% entre 13 et 18 ans. La plupart des mineurs se confient à la ligne d’écoute car ils vivent dans un environnement hostile à l’homosexualité ou la transexualité, et craignent un rejet familial ou de leurs amis suite à leur coming out : peur de ne plus être aimés, peur de se voir privés de ressources, peur d’être mis dehors, d’être mal jugés ou incompris.
Pour beaucoup, ne pas parler est ressenti comme une négation de ce qu’ils et elles vivent et sont. Malheureusement, les signalements recueillis ne sont pas rassurants, 80% des appelants ont été rejetés par leur famille, et ont subi des insultes, des coups ou des thérapies forcées.
L’association Le Refuge (5) dispose d’une ligne téléphonique d’urgence et de logements pour recueillir les jeunes en situation de rupture familiale et d’isolement social. Ceux-ci ne sont pas uniquement hébergés, ils sont également accompagnés pour construire un nouveau projet de vie (logement, emploi…) dans leur ville d’origine ou une ville plus lointaine. Dix-huit délégations locales existent afin de couvrir un maximum du territoire français et ne laisser personne à l’écart.
Dans les soins
Le milieu de la santé n’est pas un monde très inclusif, de nombreux professionnels de santé se permettent des remarques, des questions ou des actes très déplacés : “Mettez-vous en position sodomie” pour l’examen d’une hémorroïde, mention “homosexuel” dans un dossier médical sans en avoir parlé avec le patient… (1)
Les chiffres recueillis par une enquête sur la santé des LGBT avec 1 147 réponses (6) montrent que 40% des personnes LGBT+ n’ont jamais parlé de leur identité de genre ou orientation sexuelle à des professionnels de santé, et que 14,3% ont préféré éviter les soins à la suite de discriminations.
Par ailleurs, la santé gynécologique des personnes lesbiennes (7) est souvent méprisée, avec de nombreux mythes : les relations entre femmes ne peuvent pas transmettre d’IST, le suivi gynécologique d’une femme homosexuelle n’est pas utile, qui entraînent parfois des refus d’examen ou de consultation de la part des gynécologues.
D’autre part, la France a été condamnée 3 fois par l’ONU au cours de l’année 2016 (Janvier : Comité des droits de l’enfant, Mai : Comité contre la torture, Juillet : Comité contre les discriminations faites aux femmes) pour les opérations et traitements effectués sur les nourrissons nés intersexués (8). Un rapport (2) présenté au Sénat en 2017 regroupe les voix de différents acteurs (médecins, associations de personnes intersexes), et permet de mettre en lumière les actes réalisés, les raisons évoquées, et les revendications actuelles.
En effet, les associations – notamment l’Organisation Internationale des Intersexes, – demandent une indemnisation des victimes, une autorisation à l’auto-détermination des personnes nées d’un sexe non binaire (femme/homme), et la reconnaissance du sexe neutre à l’état civil. Les pratiques d’assignation à la naissance perdurent dans la plupart des hôpitaux, et les mentalités peinent à changer.
La formation dispensée aux étudiants en médecine n’est pas à la pointe des avancées sociétales, et perpétue les stéréotypes. Ainsi, l’Association Française d’Urologie (AFU) considère toujours la transexualité comme une pathologie dans son référentiel national, et les cas cliniques traitant d’une infection à VIH et/ou à Treponema Pallidum (Syphilis) présentent le plus souvent un patient gay.
Il est nécessaire que les étudiants soient formés au mieux aux problématiques spécifiques rencontrées par les populations LGBT+, dans un climat de tolérance et non-discriminatoire.
La lutte contre les LGBTphobies est aussi un enjeu de santé publique : ces comportements tendent à aggraver les comportements suicidaires, sur une population où ces risques sont déjà plus élevés que dans la population générale.
Ainsi 80% des LGBT agressés physiquement au cours des 12 derniers mois expriment actuellement un sentiment de désarroi en lien avec leur orientation sexuelle/identité de genre. 60% des LGBT victimes d’une agression physique dans l’année admettent avoir pensé à se suicider au cours des douze derniers mois, soit trois fois plus que chez les LGBT n’ayant jamais été agressés (18%), et douze fois plus que chez l’ensemble des français (4,7%).
39% des LGBT ayant déjà fait l’objet d’une forme de discrimination ont déjà fait une tentative de suicide dans leur vie, soit une proportion beaucoup plus forte que les moyennes observées chez l’ensemble des populations LGBT (24%) ou au sein de la population générale (7,2%).
Dans l’enseignement supérieur
L’enseignement supérieur n’est pas dénué de transphobie et homophobie. En effet, le nombre de signalements recueillis par SOS Homophobie pour des actes ayant eu lieu en milieu scolaire a fait un bond de 38% entre 2016 et 2017. La majeure partie de ces manifestations LGBTphobes sont des agressions : insultes (69%), violences physiques (18%), avec pour coupable une personne du corps étudiant dans plus de la moitié des cas. Les professeurs et administratifs ne sont cependant pas en reste, et l’organisation même de l’université crée des discriminations : toilettes genrées, difficulté d’accès aux examens avec une carte d’identité parfois différente de l’apparence de l’étudiant (étudiants transgenres), non utilisation du nom d’usage…
La mise en place de référents ou commissions racisme a été une étape importante dans la lutte contre les discriminations xénophobes au sein de l’enseignement supérieur. Il est nécessaire d’étendre ce dispositif aux discriminations subies également par les personnes LGBT. En outre, de nombreuses cellules d’écoute des étudiants en difficulté se développent actuellement au sein des facultés de médecine, celles-ci doivent être disponibles et adaptées pour accompagner les étudiants victimes de LGBTphobies.
Le ministère de l’enseignement supérieur a récemment proposé une série de mesures pour favoriser l’inclusion des personnes transgenres dans la vie étudiantes et des étudiants LGBT+ de manière générale. (19)
Dans certains établissements il est déjà possible de s’inscrire sous son prénom d’usage. Dès la rentrée 2019, le prénom d’usage pourra être inscrit dans les logiciels de l’enseignement supérieur et apparaître sur les documents de la vie étudiante (carte étudiante, résultats d’examens, messagerie étudiante…) sans modification du prénom à l’état civil, tandis que d’autres nécessitent encore ce changement (diplômes, certificat scolarité…).
Le guide Reconnaître pour mieux agir réalisé par le M.E.S.R.I (Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation) qui vise à aider les professionnels au sein de l’enseignement supérieur à accompagner les personnes victimes de LGBTphobies, va être actualisé, en partenariat avec des associations, et en incluant davantage les personnes transgenres.
La campagne “lutter contre l’homophobie : le combat de toutes et tous”, lancée initialement en 2015, va être relancée.
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Des lois discriminantes
Santé
Sous couvert d’évolution, la loi concernant les contre-indications au don du sang reste très homophobe. En effet, les hommes ayant eu une relation sexuelle avec un homme (HSH) sont interdits de don pour les 12 mois à venir, quelle que soit leur histoire avec cette personne. Ainsi, un couple gay ayant des relations sexuelles exclusives depuis plusieurs années ne peut pas donner son sang, tandis qu’un couple hétérosexuel dans le même cadre n’aura aucune difficulté. En effet, la seule limitation pour les relations hétérosexuelles concerne le multi-partenariat dans les 4 mois précédant le don.
Cette loi, semblant archaïque, n’est pourtant pas bien vieille. Elle a ainsi été adoptée le 11 juillet 2016, remplaçant celle qui assurait une interdiction totale de donner son sang à tout homme ayant eu une relation sexuelle avec un homme, à quelque moment de sa vie. La réexamination de cette loi en Conseil d’Etat en décembre 2017 a rejeté une évolution de cette dernière supprimant l’année d’abstinence. Les évolutions à espérer découleront de l’analyse de la sécurité des dons de plasma réalisés par les HSH depuis juillet 2016, date à laquelle le délai de 4 mois d’abstinence leur a été accordé.
Droits sociaux
Chaque année, l’ILGA-Europe, branche européenne de l’Association Internationale Gay et Lesbienne (10;13), publie sa Rainbow Map (3;11;12) mettant en exergue les droits sociaux dont disposent les populations LGBT dans les différents pays d’Europe. La France se classe 6ème en 2018, avec un score de 73% (100% signifiant que les personnes LGBT ont les même droits que les personnes cisgenres hétérosexuelles). Afin de calculer ce score, de multiples éléments sont analysés : droits dans le domaine de la famille (mariage, adoption…), pénalisation des actes homophobes, accès à l’emploi, procédures de changement de sexe à l’état civil, droit d’asile…
De nombreuses lois sont encore discriminatoires vis-à-vis des populations LGBT en France, il ne faut pas se satisfaire des avancées qui ont pu être obtenues par le passé, et veiller à ce que celles-ci soient appliquées.
Reconnaissance du sexe neutre
La déclaration de naissance réalisée dans les 5 premiers jours de vie de l’enfant doit comporter la mention sexe avec un choix binaire : femme / homme. Cette obligation légale est un frein à l’auto-détermination des personnes nées intersexuées. L’Allemagne, pionnière en Europe, a levé l’obligation de déclarer le sexe du nouveau-né permettant à la personne de se définir elle-même une fois plus âgée.
D’autre part, la mention sexe neutre n’est pas accessible légalement en France pour les personnes se considérant non-binaires. Ce n’est pas le cas partout dans le monde ; ainsi, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Népal et l’Inde reconnaissent un troisième sexe légal (autre ou neutre). Ce débat avait été relancé en mai 2017 par une personne née sans vagin ni pénis, déclarée homme à la naissance, et ne se reconnaissant dans aucun des deux genres acceptés. La cour de cassation était restée ferme sur l’interdiction de la mise en place d’un troisième sexe.
Droits familiaux
L’adoption du mariage pour tous en avril 2013 avait suscité de multiples débats. Aujourd’hui encore cette loi est décriée, et certains maires refusent même de l’appliquer au sein de leur commune. Cinq ans après cette loi, c’est près de 40 000 couples qui se sont passés la bague au doigt. En découle de cette loi la possibilité d’adopter un enfant, cependant cet accès à l’adoption reste très théorique, car les procédures sont très compliquées, et souvent rejetées notamment à l’étranger.
La révision des lois de bioéthique début 2018 a également été le siège de discussions concernant l’accès à la PMA (Procréation Médicalement Assistée) pour les femmes homosexuelles. Le Conseil Consultatif National d’Ethique (14), tout comme l’ANEMF (15), s’est positionné en faveur de cette ouverture, comme de nombreux acteurs de la société civile, mais nous ne connaissons pas encore le contenu des futures lois de bioéthique.
Une problématique liée à cette dernière est celle de la Gestation pour Autrui, qui permettrait aux hommes homosexuels d’avoir des enfants biologiques. Le débat fait davantage rage pour cette thématique, et nous en entendrons parler encore de nombreuses années.
Changement d’état civil des personnes transgenres
En 2017, l’Assemblée Nationale a revu les procédures nécessaires au changement d’état civil des personnes transgenres (16). Précédemment, des certificats psychiatriques ainsi que des attestations d’opérations de réassignation de sexe et de stérilisation étaient requises auprès des juges actant le changement d’état civil. Désormais, les procédés ont été totalement démédicalisés, seules des preuves que la personne ne se définit pas comme le sexe mentionné à l’état civil suffisent (par exemple, témoignages de l’entourage proche). Cependant, la liste des documents exigibles n’est pas définie, et il n’est pas impossible qu’un juge se permette de demander des documents médicaux. Il faut donc rester vigilant quant à l’application de cette loi.
Au 1er janvier 2018, la loi belge (17) a été modifiée, facilitant les démarches pour les personnes transgenres souhaitant faire changer leur sexe à l’état civil, et ouvrant la possibilité aux mineurs, dès 12 ans, de changer leur prénom d’usage, et dès 16 ans, de changer ce dernier à l’état civil. De quoi s’inspirer ?
Ressources
1: https://www.sos-homophobie.org/sites/default/files/rapport_homophobie_2019_interactif.pdf
2 : Rapport adressé au Sénat sur les variations du développement sexuel, Février 2017
3 : Rainbow Europe Package 2018, ILGA-Europe, Mai 2018
4 : https://www.sos-homophobie.org/
5 : https://www.le-refuge.org/
6 : https://www.huffingtonpost.fr/2018/01/17/pour-les-personnes-lgbt-aller-chez-le-medecin-prendre-soin-de-sa-sante-un-parcours-seme-dembuches_a_23335703/
7 : http://federation-lgbt.org/fichierUploader/ILGA_Lesbians_Health_Myths_Realities_FR.pdf
8 : https://yagg.com/2016/08/08/enfants-intersexes-lonu-rappelle-a-lordre-la-france-pour-la-troisieme-fois-concernant-les-mutilations-genitales/
9 : https://dondesang.efs.sante.fr/qui-peut-donner-les-contre-indications/tout-savoir-sur-les-contre-indications
10 : https://ilga.org/fr/fr_home
11 : https://www.ilga-europe.org/
12 : https://www.komitid.fr/2018/05/14/rainbow-map-2018/
13 : https://rainbow-europe.org/
14 : http://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/ccne_avis_ndeg126_amp_version-def.pdf
15 : https://www.anemf.org/blog/2018/04/30/revision-bioethique-synthese/
16: http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/07/12/la-demedicalisation-du-changement-de-sexe-a-l-etat-civil-adoptee_4968574_3224.html
17: https://www.rtbf.be/info/societe/detail_nouvelle-loi-transgenre-qu-est-ce-qui-change-en-2018?id=9796314
18: https://www.ifop.com/publication/observatoire-des-lgbtphobies-etat-des-lieux-2019/
19: http://www.etudiant.gouv.fr/cid140529/ce-qui-doit-changer-pour-les-etudiants-transgenres.html
L’article Journée Mondiale contre l’Homophobie et la Transphobie 2019 est apparu en premier sur ANEMF.org, le site officiel des étudiants en médecine.