Le “Grand Débat National”, organisé en réponse à la crise sociale que traverse actuellement la France, a mis en exergue la difficulté qu’ont beaucoup de citoyens à accéder à un médecin à proximité de chez eux.
Afin de traiter ce problème, plusieurs élus locaux et députés avancent, comme solution “miracle”, des formes de coercition à l’installation des médecins qui sont aujourd’hui libres de s’installer où ils le souhaitent. Le vote de la loi du gouvernement “Ma Santé 2022” dans les semaines à venir sera l’occasion pour eux de déposer et faire voter des amendements en ce sens.
Pour ces personnes politiques, c’est la réponse de facilité à des préjugés répandus : des professionnels mal répartis sur le territoire, refusant d’exercer en ruralité… Les difficultés d’accès aux soins sont réelles mais les causes sont loin d’être celles avancées précédemment. Nous les avons décrites dans un précédent article.
Dans cet article, nous vous décrirons pourquoi ces mesures coercitives sont inefficaces et dangereuses.
Les solutions pour améliorer l’accès aux soins sont multiples : vous pouvez retrouver nos propositions ici !
La coercition à l’installation : qu’est-ce que c’est ?
La coercition à l’installation désigne toute forme de régulation qui contraindrait l’installation des médecins sur le territoire. La coercition peut prendre plusieurs formes : conventionnement sélectif, contrainte à la sortie du cursus médical, contrainte à l’entrée des études de santé…
Le conventionnement sélectif
La médecine libérale est financée par une tarification à l’acte. Le prix de cet acte n’est pas fixé au hasard. Il est discuté au cours de négociations entre l’Assurance Maladie (AM) et les syndicats de médecins libéraux. Lorsque les deux parties se sont mises d’accord, elles signent ce qu’on appelle une convention (qui est révisée tous les 4-5 ans). Un médecin est libre de se soumettre ou non à la convention, si il le fait, on dit qu’il est “conventionné” avec l’AM (l’ANEMF assiste en tant que membre observateur aux négociations depuis deux ans !).
Il existe deux types de conventionnement : un secteur 1 et un secteur 2. Un médecin conventionné secteur 1 suit les honoraires fixés par l’Assurance Maladie, en échange d’aides financières pour couvrir ses charges. Un médecin secteur 2 est autorisé à faire des dépassements d’honoraires sur le prix fixé par l’AM.
La consultation d’un médecin non conventionné (aussi dit de “secteur 3”) n’est remboursée qu’à hauteur de 16% ! C’est à dire que le patient, pour une consultation de 25€, devra payer 21€ au lieu de 8€50 (Si le patient n’a pas de complémentaire santé).
Ainsi, le conventionnement entre médecins et assurance maladie permet à la population de bénéficier de tarifs opposables et remboursés par la solidarité nationale, et de ce fait, de permettre un accès à la santé pour tous.
Le principe du conventionnement sélectif est de conditionner le conventionnement avec l’Assurance Maladie en rapport avec la zone dans laquelle le médecin voudrait s’installer.
Ainsi, des “zones sur et sous dotées” sont définies, et les jeunes médecins ne pourront se conventionner avec l’Assurance Maladie que s’ils s’installent dans une zone considérée comme sous dotée, ou si un médecin des zones considérées comme “sur-denses” part à la retraite. Rappelons qu’il n’est pas possible de définir des zones “sur-denses” actuellement (pour en savoir plus sur l’accès aux soins, lisez notre précédent article).
C’est cette mesure qui avait été proposée par le député Garot en janvier dernier, voici un extrait de l’exposé des motifs de sa proposition de loi :
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Une re-répartition inefficace
Cette mesure, déjà appliquée dans certains pays étrangers, est inefficace. Elle forcera les jeunes médecins à s’installer dans les zones en bordure des territoires les plus attractifs, à la périphérie des zones qualifiées de “sur-dense”, comme c’est le cas pour les infirmiers, chez qui une forme de conventionnement sélectif est appliqué sans pour autant augmenter les installations en ruralité.
De plus, la solution n’est pas une re-répartition des médecins. Il y a un manque global de professionnels : les forcer à se re-répartir équivaudrait à déplacer les zones de tension sans les supprimer. En effet, vous pourrez lire dans notre précédent article que la répartition des médecins est peu disparate et que les zones “sur-denses” n’existent pas !
Une dévalorisation de l’exercice libéral dangereuse
De plus, une telle mesure éloignera les jeunes médecins de l’exercice libéral, qui se tourneront vers une pratique hospitalière les accueillant “à bras ouverts”. En effet, près de 30% des postes (soit plus de 15 000 postes de praticien hospitalier à temps-plein au 1er Janvier 2018 d’après le CNG), sont actuellement vacants au sein des hôpitaux publics, sans compter les offres des cliniques privées qui cherchent, elles aussi, à recruter des médecins.
En conséquence, l’attractivité de la spécialité de médecine générale, au vu de son exercice à majorité libérale, va en pâtir auprès des étudiants. Cette même spécialité dont l’enjeu d’attractivité est majeur actuellement, en ressortira lésée.
C’est une dévalorisation de la médecine générale que l’on peut observer à l’étranger, et notamment en Italie, où un conventionnement sélectif est appliqué pour les médecins de famille qui ne représentaient que 22% de la population de médecins en 2014, soit deux fois moins qu’en France. (Comparaisons internationales des médecins, DREES, rapport 2016).
Un déséquilibre de notre système de santé au détriment de la population
Un conventionnement sélectif encouragerait les médecins à se déconventionner, renforçant ainsi le secteur 3 aujourd’hui largement minoritaire (moins de 1000 médecins en France).
En effet, une partie des médecins préférera s’installer là où ils le désirent pour des raisons personnelles, même si le conventionnement n’est pas possible dans cette zone. Les jeunes médecins approchent les 30 ans à la sortie de leur études, ont souvent une vie de famille ancrée dans un territoire précis.
Ces médecins non conventionnés devront fixer des honoraires élevés, car ils ne seront plus aidés par l’AM dans le paiement des charges. De surcroît, leurs patients seront peu remboursés (16%). Par conséquent, ils seront obligés de se distinguer en proposant une offre de soins “de luxe” visant les populations les plus aisées pouvant s’offrir leurs services.
C’est un des effets pervers du système de santé du Royaume-Uni, où 11% des citoyens paient une assurance privée complémentaire, alors que l’accès aux services de santé est gratuit. Ainsi, ils contournent le système classique, et ont accès à une médecine privée dont le temps d’attente est moins long, et où les prestations sont aussi bonnes, voire de meilleure qualité que celles proposées par le National Health System (NHS).
On crée ainsi une médecine à “deux vitesses” : un système privé peu remboursé se tournant vers les populations les plus aisées et un système public accessible au plus grand nombre.
Le conventionnement sélectif n’a fait ses preuves d’efficacité dans aucun des pays européens qui l’a mis en place (Allemagne, Italie, RU etc). Pire, il a creusé les inégalités qu’il prétendait résoudre !
Coercition en fin de cursus
Le conventionnement de fin de cursus consiste à forcer un médecin, nouvellement diplômé, à exercer un certain nombre d’années dans une zone dite “sous-dense”.
Amendement proposant de forcer les jeunes médecins à exercer 5 ans dans une zone sous-dense sous peine de devoir payer une amende de 1000 euros par mois. PPL mesures d’urgences contre la désertification médicale, amendement 2
Ce genre de mesure est souvent justifié par le fait que nos études sont dites “gratuites” et que les étudiants en médecine sont redevables, à ce titre, d’un certain nombre d’années à “rendre” à l’Etat.
Des études gratuites…mais chères !
L’inscription dans les facultés de médecine est, certes, presque gratuite mais au même titre que les autres cursus universitaires. Et nous ne demandons pas à l’ensemble des étudiants de “rendre” un certain nombre d’années à l’Etat en échange de l’accès à l’Enseignement Supérieur !
Si les frais d’inscriptions sont faibles, le coût des études de médecine, lui, ne l’est pas. En effet, d’après l’Indicateur du Coût de la rentrée d’un étudiant en médecine, un étudiant paiera en moyenne 5 016 euros à son entrée en PACES, et 3 250 euros à son entrée dans l’externat (2ème cycle). A ceci s’ajoutent les frais mensuels de vie courante de 930€ en moyenne.
Besoin d’un service rendu ? C’est déjà le cas, cela s’appelle l’externat et l’internat !
A Bac +4, un étudiant est payé en moyenne 1 €/heure, pour atteindre 8 €/heure à Bac +10 pendant qu’il rend service à l’hôpital.
L’externat
Ainsi, l’ensemble des externes en médecine (4ème à 6ème année) sont payés en moyenne 220,63€ euros bruts par mois et prêtant largement main forte aux services de l’hôpital.
Ainsi, la rémunération des étudiants hospitaliers, en tant qu’agents publics non titulaires, varie entre 0,64€ et 1,38€ bruts de l’heure (en théorie, car les étudiants travaillent souvent plus que 48 heures par semaine, donc ce montant est encore plus faible) là où le SMIC brut est à 9,88€ de l’heure.
L’internat
Le salaire d’un interne de médecine générale de première année est de 1383,76 € bruts / mois soit 7,2 € Bruts/ heure(Etat des lieux des conditions de travail des internes de Médecine Générale ).
Selon une enquête récente de l’ISNAR-IMG, menée sur plus de 940 internes de médecine générale, seuls 64,5 % des internes dépassent les 48h de travail réglementaire à l’hôpital.
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La majorité des internes de médecine générale dépassent 48h de travail par semaine lors des stages hospitaliers. 4% des internes dépassant le nombre d’heures par semaine réglementaire (48h) travaillent plus de 80h/semaine !
Le suivi des patients mis à mal
D’autres justifient cette mesure en s’appuyant sur le modèle des professeurs de l’Education Nationale qui souvent, par manque d’ancienneté, doivent exercer un temps dans des quartiers prioritaires de ville ou des zones plus rurales. Or, cette mesure ne permet pas un maintien à long terme des professeurs dans ces zones qui ont tendance à partir dès qu’ils le peuvent. Ce phénomène se reproduirait si une telle mesure est imposée aux jeunes médecins.
La création d’un fort “turn-over” risquerait de rompre le suivi à long terme des patients vivants à l’heure où la prévalence des maladies chroniques monte en flèche.
Dévalorisation de la médecine libérale
Enfin, une telle mesure participera à dévaluer une nouvelle fois la médecine libérale auprès des étudiants ; ne touchant pas seulement la médecine générale mais l’ensemble des spécialités dont l’exercice est à prédominance libérale, telle que la cardiologie, la gynécologie etc.
Coercition en début de cursus
Certains députés proposent même de mettre en place des formes de coercition qui s’ancreraient dès le début du cursus. Ce type de coercition peut prendre plusieurs formes telles que :
- Un gain de points facilitant l’entrée dans les études de médecine en échange de la promesse de s’installer en zone sous-dense.
- Permettre aux 10% d’étudiants classés après le Numerus Clausus d’accéder aux études de médecine en échange de leur promesse de s’installer en zone sous-dense.
- Ou même, réserver un nombre de places pour des étudiants n’ayant pas réussi le concours PACES mais acceptant de s’installer dans des zones sous-dense.
Amendement imposant au dernier ⅓ du Numerus Clausus d’exercer au moins 3 ans au sein d’une zone sous-dense. PPL mesures d’urgences contre la désertification médicale, amendement 5
Outre le fait qu’on demande à un étudiant au sortir du Bac de spéculer sur son avenir, en ne connaissant ni la médecine, ni l’exercice libéral, ce genre de coercition peut amener à des dérives durant la formation. En effet, définir le projet d’installation d’étudiant dès l’entrée des études de médecine pourrait créer, à terme, un traitement différent entre les étudiants au sein d’une même promotion.
Poussé à l’extrême, nous pourrions voir apparaître deux parcours de formation distincts au sein des études de médecine : d’un côté, le cursus tel que nous le connaissons aujourd’hui, et de l’autre, un cursus “adapté” aux étudiants se destinant à l’exercice libéral en zone sous-dense. Au final, cela pourrait créer une véritable inégalité entre les étudiants au sein d’une même promotion, et un différentiel de formation entre les médecins.
Et la suite ?
Il existe de nombreuses formes de coercition à l’installation. Toutes présentent des dangers ou dérives inacceptables. Pourtant des solutions incitatives existent pour améliorer l’accès aux soins sur le territoire. Vous pouvez retrouver nos propositions dans notre Dossier de Presse sur l’Accès aux Soins.
Le projet de Loi déclinant le plan “Ma Santé 2022” passe sur les bancs de l’Assemblée Nationale le 18 mars prochain. Elle constitue une occasion de voir poser sous la forme d’amendement, des propositions de coercition sous toutes ses formes. Renseignez-vous dans vos facultés auprès de vos représentants, parlez en autour de vous, à vos amis et mobilisez-vous contre ces mesures coercitives !
Si celles-ci venaient à être votées, l’ANEMF organisera une mobilisation !
L’article Coercition : Ce que certains députés proposent ! est apparu en premier sur ANEMF.org, le site officiel des étudiants en médecine.